CHAPITRE 4

08/08/2024


Chapitre 4

- Y a quoi ?

Mes écouteurs, mes écouteurs, merde, ils sont emmêlés. Il m'repond pas, j'comprends pas pourquoi. Puis j'vois qu'on passe juste devant des meufs qui nous écoutent, j'comprends ses précautions. (16. 04.2024) Une fois assez éloignés, il cause toujours pas. J'insiste. Mec, y a quoi ? Il soupire et j'ai l'impression qu'il prend tout son temps pour me faire chier.

- Tout à l'heure elle passait dans le couloir du bâtiment principal, là où y a les casiers, et y avait personne. Genre juste moi et deux potes, et elle et une pote. T'sais, la brune qu'a un copain qu'est trop moche.

Je hoche la tête. Ouais, j'vois qui est c'te meuf. Son copain est grave moche et fait sa taille, c'est drôle. En plus il porte h24 des polos.

- Et ?

- Et d'un coup, sans raison, vraiment, celle qui te kiffe a fait une crise d'angoisse.

Et ? C'est tout ?

- J'sais pas pourquoi. T'sais, d'habitude, on rigole un peu quand on la voit, 'fin j'sais pas, mais là, j'ai limite paniqué. Le pire dans tout ça ? Sa pote. Elle l'a emmenée aux toilettes. Elle s'est barrée. Elle est pas revenue. Et l'autre, j'l'ai entendu chialer. Avec les gars on a juste continué le chemin, mais j'crois que j'regrette.

Wouah. Ah ouais, ok, je vois. La pote de merde. Emma-pas-Emma a été lâchée comme une de-mer.

- C'était quand ? je demande.

Il a vu ca, il a rien fait. Ils ont été trois à voir ça, et ils ont rien fait. Et elle, elle se fait larguer comme un déchet, elle chiale, elle est seule, et son seul soutient se casse. Putain. Pourquoi ça m'fous autant en rogne ? Ça s'fait pas. J'aimerais pas que ça m'arrive. T'façon j'fais jamais de crise d'angoisse.

- Début de l'heure, donc y a… j'sais pas, trente minutes.

- Viens on va voir.

Les yeux de Yacine s'écarquillent.

- Quoi ?

- Viens on va voir, je répète.

Il comprend pas.

- Mais t'es malade, on s'en fout, de c'te meuf !

Je soupire.

- On passe juste devant les chiottes, pour voir si elle y est encore !

No reaction.

- Allez, c'est tout, j'insiste.

J'commence à me diriger vers la porte du bâtiment, il me suit. Yes. J'ai gagné.

(24.04.2024) Mais la déception est très vive, inexplicable et je succombe sous ses coups. Oui, ne pas voir Emma-pas-Emma m'a rendu beau parleur. Bref, elle n'est pas là. Plus que de ralentir, je me suis arrêté devant la porte. Par respect pour les deux filles qui se maquillent devant les miroirs, je ne suis pas entré. Yacine ne s'attendait pas à ce que je m'arrête.

Elle n'est pas là. Un espoir insoupçonné s'est envolé. J'suis super déçu. J'avais jamais ressenti ça. Ça m'fait tout drôle. D'me dire que j'avais de l'attente pour quelque chose. Une première depuis full time. Yacine m'interroge du regard. J'accélère le pas, le dépasse, ne me retourne pas. Me vider la tête. Oublier que j'ai pensé à quelqu'un. Oublier qu'au fond de moi, je voulais la trouver là, mal, à suffoquer, sur le sol des chiottes des meufs, abandonnée par ses potes. Mais rien. Alors j'essaie d'oublier.

On est heureux dans le déni.

J'ai pas faim. Ma mère m'appelle pour graille, avant qu'elle parte pour son service de nuit. Désormais, elle ne travaillera plus que la nuit. Ça l'use. J'vois ses cernes, putain, comment on peut vivre de ça ! Elle fait tout pour Isaac et moi, et ça m'motive à faire un p'tit boulot, à gagner ma vie, mais au fond, j'suis vraiment trop un flemmard.

D'un coup elle ouvre la porte de ma chambre. Dans ses bras, y a Isaac qui braille. Je retire mes écouteurs. Y avait même pas de musique.

- Bon, ça suffit, Liam. J'suis débordée, moi, et puis Isaac, il m'énerve vraiment. Tu veux pas t'en occuper ? T'façon tu fais rien, là, si ? Tu veux pas manger, ok, mais moi j'ai la dalle, alors j'aimerais bien avoir cinq minutes pour moi.

Ses yeux s'adoucissent quand elle a fini de parler.

J'me lève de mon lit et prends Isaac dans mes bras. Little Bro me calcule pas, il est occupé à crier. Bientôt, il arrêtera.

- Tu lui as donne à manger ? je demande.

- Oui. Je mange un bout et après je file. Ah nan, avant, la voisine m'a demandé de lui déposer Isaac ! Il y a sa petite-fille chez elle en ce moment, et comme les deux ne sont pas encore à l'école, elle voulait les faire se rencontrer pour qu'ils aient un semblant de vie sociale.

Je souris.

- C'est cool, ça.

Eugenia est vraiment géniale.

J'réponds à des messages sur le groupe, j'laisse le petit explorer mon lit, en veillant a c'qu'il se casse pas la gueule quand même. Il est redevenu calme.

On est tous les trois dans la maison et pourtant pour une fois c'est presque silencieux. J'porte Isaac, ouvre la porte de ma chambre et vais discrètement à la cuisine. Ce que je vois me rassure, j'aime c'que j'vois. Ma daronne, yeux fermés, tête en arrière, en train de macher une part de pizza. Sur ses oreilles, un vieux casque rose branché à un MP3. Ça doit dater de son adolescence. Et ça m'fait sourire comme un con de la voir comme ça. Elle a l'air jeune. Elle qui fait d'habitude plus que son âge... Elle est belle.

Une heure plus tard, le stresse est revenu habiter la Madre, elle a couru partout, a lancé Isaac à Eugenia, s'est barrée avec ses clefs, a claqué la porte, a démarré la voiture. Et moi, encore, j'me suis retrouvé seul, vieux con, au milieu d'un petit appart'. J'étouffe. Alors qu'il y a plein de pièces. Cuisine, salon, salle de bain, WC, chambre de la daronne, la mienne. Un tout petit balcon, un ''coin-clopes'' alors que personne fume ici, sauf Talia quand elle vient squatter.

Encore une fois j'fais l'tour. J'sais pas trop quoi penser. Y a pas de bruit. J'me sens super bruyant. Alors qu'j'suis super vide. Puis, y a le son de notif' d'mon tel.

Nicolas.

Nicolas à vous

Mec, tu peux venir ?

Ouais, j'peux venir, et ça m'f'rait un putain de bien. Nicolas est seul, j'le suis aussi, soyons le à deux. Deux clochards – loosers au grand cœur. J'sais plus où j'ai entendu cette phrase, mais j'l'aime bien.

Vous à Nicolas

Oep

Rappelle moi ton adresse déjà

J'prends l'bus, 'doit être vingt-et-une heure trente. J'me dis qu'il y a de la vie. De la vie dans la nuit. De la vie dans le noir. Mais y a personne. Des phares de voitures et un bourré quelques sièges devant moi. Il pue l'alcool d'ici, c'est écœurant. Ça m'rappelle le daron. Ecouteurs. Entre mes doigts. 'Sont fins, blancs, agiles. C'est de la merde.

J'arrive près du quartier de Nicolas, j'descends. Ça craint plus que chez moi. C'est là où habite Steven et Auxyl, aussi. Pas le même immeuble.

Nicolas à vous

Sur le toit

Again

C'est un truc entre lui et oim, ça. On est dans la même spé anglais et on est tous les deux aussi éclatés. Alors pour déconner on place des mots anglais dans nos conv', comme ça. Ça nous rassure et nous déprime en même temps. En mode, ouais, on est de grosses merdes. Qui savent même pas causer.

En montant les escaliers, c'est bruyant, y a le métal qui crie et j'ai peur de réveiller les gens. J'sais pas s'ils dorment, ici. J'entends des gens gueuler. Ça m'rappelle le confinement.

J'pense à Nicolas. Bah ouais, en même temps, j'vais l'voir, là. Mais On sait pas trop c'qu'il pense. Il parle pas trop, pas trop jamais, et il a pas l'air heureux, il a pas l'air triste. Ce gars est neutre. Mais quand on s'voit sur le toit de son immeuble, son expression neutre, bah elle a l'air neutrement triste. J'sais pas comment expliquer. Il m'fait penser à moi. J'sais pas c'qu'il vit. Et même après s'être allongés sur le toit, bah j'sais toujours rien de lui. Et pareil pour lui. Genre on la ferme. Mais j'sais que quand il me demande de venir, c'est qu'lui aussi est lâche et que lui aussi il fuit. J'sais pas ce qu'il vit qui lui donne envie de rester uniquement avec moi. A vrai dire, j'sais même pas si les gars savent qu'on se voit des fois sur le toit.

J'le vois, il est déjà allongé, il regarde le ciel. Y a pas d'étoiles. Il m'entend arriver, j'le sais. Il se lève pas, se retourne pas. Ok, ça va pas.

J'm'allonge à cote de lui. C'est tout froid, j'en ai rien à foutre. Il me tend un écouteur. J'm'attendais pas à ça. C'est quoi, c'te chanson ? Je pique son tel, entre nous, pour voir. Wonderwall de Oasis. Ah ouais. J'avais déjà entendu. C'est vieux. Après y a Message de Klem. Ça aussi, c'est vieux. Et y aucun rapport de style, aussi. J'm'appuie sur mes coudes, me tourne vers Nic.

- Gros, ça va ?

Il bouge pas.

- Ouais. As everytime.

J'me rallonge. Le ciel est clair, pour un ciel de nuit. C'est hypnotisant. On dirait qu'on est hors du temps. Alors que les nuages ils bougent. C'est chelou. J'ressens des trucs bizarres. J'me demande si c'est ça la solitude. Ou plutôt : la solitude partagée. Ouais, j'la partage avec Nicolas. Ensemble, on est seuls. Seuls à deux. C'est pas logique mais c'est terriblement ça c'qu'est en train de se passer.

Les minutes défilent, les chansons aussi. J'crois qu'il pionce. J'y arrive pas. J'ai froid sa mère. J'regarde l'heure. Minuit.

- Yo, mec. Have a good day !

Sa respiration est régulière. Il dort. Mais il finira par se réveiller, il m'dira de rentrer chez moi, il rentrera dans sa piaule, et j'sais pas c'qu'il vit et j'sais pas lui demander.

Sur ses joues y a des paillettes. Les larmes ont coulé.


(25.04.2024) Mardi. Au lycée, avec les gars. Nicolas me fuit du regard, m'ignore ; j'fais de même. C'est toujours comme ça quand on a partagé un moment sur le toit la nuit précédente. Bon, c'était vendredi. Mais on s'est pas vu du week-end. Et lundi c'était férié. Bref. C'était trop intime pour deux introvertis comme nous, quoi. Et à chaque fois, on dirait qu'mon cœur est un peu plus lourd dans ma cage thoracique. Si ça continue, il sera dans mes pieds le mois prochain.

Steven râle, et agacé par Nicolas, j'finis par m'intéresser a c'qu'il raconte, ce con. Il montre une photo sur son tel aux autres gars.

- Nan mais vous vous rendez compte ? déjà c'est illégal, en plus c'est moche et ça fait chier tout le quartier.

- Mdr, c'est éclaté au sol, c'est quoi c'te merde ? dit Darnell.

Je zieute sur l'écran. Je reconnais une partie de la façade de l'immeuble où habite Steven. Y a quoi de particulier ?

Ah, là, je distingue quelque chose d'une autre couleur que le mur. Un peu de bleu, ou de violet, on dirait. C'est quoi ?

- Un graffiti de mes deux, répond Steven comme s'il avait lu dans mes pensées.

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