CHAPITRE 1
Chapitre 1
(26.03.2024) Putain, frère, lui, j'le connais. Sa mère. Evidemment, fallait que je croise quelqu'un que je connais dans cette foutue gare de mes deux. Merde, merde, merde. Un pas en avant. Un deuxième, un troisième – je compte plus. Je m'éloigne de ma mère, de mon petit frère. Discrètement. Ou pas. M'en fous. Mais c'est sûr, lui, j'le connais. Air Force Max blanches, jogging noir comme sa peau. Ouais, je vois qui c'est. Au revoir, Maman, mais j'ai une réputation.
Lui, il m'voit pas. Ouf. Tant mieux. Il m'regarde pas, il est sur son tel. Bordel, le soulagement. J'arrête de m'éloigner de ma famille. Il part.
Je tourne les talons et quelques minutes plus tard, à côté de ma mère et de mon petit frère, je monte dans le train pour Paris. On s'assoie, puis, plus tard, le train pour Paris démarre.
Pendant que ma mère et Isaac iront chez ma Talia ElKasmi, sa grande amie d'enfance, j'irai chez mon daron. Autant vous dire que je n'en ai pas du tout envie, et qu'aller chez lui relève du criminel. C'est un putain de con, j'en ai rien à foutre de ce qu'il peut penser, de ce qu'il peut dire, j'ai juste encore au travers de la gorge ce qu'il a fait. En plus, j'aime pas sa nouvelle copine – le contraire de ma mère. C'est une rousse, grande, physiquement généreuse. Elle s'appelle Emilie Roger et rien que son nom me donne envie de gerber. Elle est plus âgée que ma mère et croit donc tout savoir. Elle passe sa vie à faire la morale a tout le monde, elle croit tout savoir mieux que tout le monde. Le comble : elle est pharmacienne alors dès qu'on a mal quelque part, elle sait tout ce qu'il faut faire, tout ce qu'il faut nous donner à bouffer comme médocs' – parce que tu comprends, ''elle est pharmacienne, c'est son métier''… Insupportable, c'te femme.
Le train arrive à Paris-Est. Bondé de monde, comme d'hab. J'aime pas cet endroit immense, avec ces grandes vitres, ces grandes verrières, cette luminosité. Chez nous, à Nogent, c'est un petit appart' terne, et c'est bien mieux. (27.03.2024) Paris me rappelle sans cesse mon père, et tout ce luxe qui le définit. C'est pénible.
Une heure plus tard, je suis devant la porte de son appartement. Sans ma mère, sans mon frère. Seul. Devant cette porte rouge et ce tapis trop petit. Je déteste l'odeur que j'peux sentir d'ici, une odeur de… de bien trop belle vie parfaite et hypocrite. A vomir, à gerber.
Je sonne, après un temps qui me semble être une éternité. C'est Emilie qui m'ouvre et son chemisier qui a dû couter super cher me donne déjà envie de partir loin, très loin. Loin de toute cette famille qui n'est pas la mienne.
- Will ! On t'attendait, dit-elle.
Will. Beurk. C'est moche. C'est pas moi. Je hais. C'est trop gaize.
Elle se retourne et crie dans le couloir récemment peint d'un blanc un peu trop éclatant.
- Nicolas, voilà ton fils !
Son regrettable fils est là, effectivement. Je ne sais pas ce qui me retient de faire demi-tour, alors que ça me démange.
Mon père arrive sur le pas de la porte, dans une chemise bleu ciel Ralph Lauren que je ne lui connais que trop bien, malgré le fait qu'elle a sûrement été achetée la veille.
- Fiston ! Entre, je t'en prie.
Paraitre parfait est une obsession pour mon père. Sérieusement, qui appelle encore son gosse ''fiston'' ? Mon daron est fêlé. Il aime sa nouvelle vie – sans nous, sans moi, sans Maman, sans Isaac qu'il considère comme son fils (putain, s'il savait). Mon daron aime les grands appartements de Paris 16e, d'ailleurs, il en habite un avec sa Emilie-et-ses-cheveux-un-peu-trop-lisses.
J'entre avec mes Nike, il y jette un œil, il grimace, je souris. Achetées avec l'argent qu'il ne nous donne pas. Connard.
- Tu as faim ? Après tout ce trajet, demande Emilie et son éternelle envie de sembler femme parfaite des années soixante. Un jour j'lui dirai que ça me casse les couilles sévère.
J'dis oui, et je m'demande si elle va me servir un thé de mes deux comme la dernière fois. Mais finalement, on passe à table. Mon assiette, beaucoup trop grande pour en être une, est entourée de couverts en argent, brillants, et j'vois mon reflet dans la cuillère. Je fais tache, bordel. Et chez mon père, faire tache, c'est le déshonorer. J'aime ça de ouf.
J'sais pas ce qu'on mange, tout ce que je sais, c'est que c'est plein de goûts, de sauce, de viande super tendre, de trop cher pour avoir été acheté a Lidl ou Aldi. C'est bon, et je pense à maman qui rêve de manger si bien à la maison. Mais moi, ça me donne tellement pas envie de finir mon assiette. Juste de la provocation, pour que mon père regrette jusqu'à la fin de sa vie d'avoir voulu frôler la perfection. Mon cul.
- Qu'est-ce que tu en penses ? me demande Emilie.
- Ouaip, bah, c'est bon, quoi.
Rien à foutre. Ferme ta gueule, Emilie. J'veux pas qu'tu m'parles. J'aurais jamais dû te rencontrer.
Elle est trop différente de ma mère. Trop superficielle. Si peu authentique. Franchement, qui a envie d'une belle-mère comme ça ? Je ne la considère même pas comme tel. Emilie, c'est Emilie, c'est la meuf que se tape mon père parce qu'elle est du milieu auquel il veut appartenir, avec son charisme à deux balles. Ma mère, c'est les galères, le bordel dans la maison, le stresse de la vie et un peu trop de rides pour son âge. Ma mère est véritable, un câlin de la vie, un bout de nuage. Elle est belle, ma mère. Emilie, elle est dégueulasse – mais son porte-monnaie est plein, ça attire.
Je sais pas combien de temps je reste là à me faire chier, à regarder Netflix à la TV parce qu'on a pas Netflix à Nogent, affalé sur le canapé six fois plus grand que celui de ma mère. A un moment, Emilie m'apporte même des chips – elle croit que les jeunes ils mangent des chips devant la télé, mais moi, j'men tape aussi de ça, et des clichés. (29.03.2023) A vrai dire, je sais même pas ce que je regarde. J'en ai rien à carrer. Putain, c'que j'me fais chier. On se fait chier, dans cette baraque. Aucun défi. Tout ce que je veux je l'ai si je le demande à Emilie. Ennuyant.
Je soupire.
- Tout va bien, Willy ?
Emilie apparait de nouveau à côté de moi. Chiottes, elle était là y a deux secondes ! Et puis Willy ? Pour de vrai ? Je rêve. J'suis à deux doigts de me barrer.
- Ouais, merci.
Vraiment ? Je l'ai remerciée ? Mais la remercier de quoi ? Elle me saoule juste et moi comme un con je lui dis merci.
Elle s'en va et j'en suis même pas heureux.
Au bout d'un moment, j'regarde mon tel. Dix-huit heures. J'y go. J'me lève, j'préviens mon père. Il me donne cinquante balles. C'est un rituel. Pour sa conscience, peut-être. Je sais que c'est pas cinquante balles qui vont le ruiner, et j'aimerais bien refuser cet argent pour ma dignité, mais j'le fais pas, j'le dépense discrètement dans une paire de Nike ou un truc du genre sans jamais prévenir la daronne. D'ailleurs, elle a jamais su pour les cinquante balles que je reçois à chacune de mes visites. J'lui dirai jamais, ça la mettrait mal. En mode elle me dirait qu'elle ces cinquante balles elle peut pas me les donner, et elle culpabiliserait. Flemme de vivre ça, tu vois.
J'marche un peu dans les rues de Paris avant d'arriver chez la pote de ma mère et j'pense à rien, c'est effrayant. J'parle un peu à Rayan, Auxyl, Lounes, bref, les potes, sur le groupe.
Talia m'accueille comme si j'étais un gosse de douze ans qui se prend pour un grand, mais j'ai l'habitude. Puis Talia, c'est différent. C'est un peu comme une deuxième mère, en bien plus irresponsable. Une grande sœur cool, quoi. Dans le salon étroit j'vois ma mère et Isaac. Elle a l'air fatiguée et j'me tuerais de la voir comme ça. Elle me sourit doucement car tout ce qu'elle fait, ma mère, c'est doux. J'm'approche, elle me demande de tenir Isaac le temps qu'elle aille aux toilettes.
- Wesh, mon grand, t'es lourd !
Isaac a six mois, six kilos et soixante centimètres. Ça m'fait rire, ces six qui accompagne sa vie en ce moment. Il a six mois et est adorable. Il a accentué les rides de maman par l'épuisement qu'il lui cause mais aussi ses sourires. Il fait sourire maman comme aucun homme ne l'avait jamais fait sourire avant. P'tit bonhomme, Isaac DoSantos. Il parle pas encore, il gazouille, il chante. Un ange. Un peu de lumière dans notre baraque grise de merde.
- C'était comment, chez ton père ? Encore avec sa pouffiasse de service ? demande Talia en tirant sur sa clope.
- Fume pas avec Isaac, il est trop jeune, c'est mauvais.
Instinct protecteur. Isaac, c'est mon p'tit frère, mon Little Bro.
Elle me recrache sa taffe à la gueule et je recule Isaac. Faut pas qu'il respire ces saloperies, j'veux le préserver de la merde de la merde.
- Ouais, 's'en fout. Alors, ton père ?
J'réponds pas tout de suite, j'sais pas pourquoi. Je reste bloqué. Décrire ce que je viens de vivre ? Impossible. J'm'en souviens déjà plus.
- Ouais, bah, c'était bon. Et ouais, il est toujours avec Emilie.
En insistant sur ce prénom, j'ai l'impression de défendre la copine de mon père, et j'ai les poils qui se hérissent. C'te pute. Même si finalement j'suis contente que ce soit elle avec mon père et pas ma mère. Elle mérite pas quelqu'un de si bas.
Isaac s'est endormi. Il pionce. C'est un truc de fou avec lui : en moins de deux, il dort. Et n'importe où ! J'sais pas ce qu'il fait de ses journées, mais c'est un bébé crevé. Il est lourd, mine de rien. Je m'assois sur le canap' avec lui, Talia fume, maman est aux chiottes – son seul endroit de repos. On entend les bagnoles gueuler dans la rue, des gens parler un peu trop fort sur le palier de l'étage et la grande fenêtre du balcon nous offre une lumière pas désagréable. Moi aussi, j'suis fatigué. Je pense à mon père, au lycée. Mes notes qui s'écroulent en spé maths, le BAC. Ma mère qui veut que je passe le code et le permis, le manque d'argent constant. Rayan, Nicolas, Steven, le manque de couleurs dans leurs outfits. Le chat que je croise souvent dans la rue, ce mois de mars qui passe trop vite et ma vie qui avance pas.
- Eh, gamin, ça va ? m'interroge Talia.
Comme une machine, je dégaine :
- Ouaip.
Ma mère revient et déclare qu'on va aller manger à MacDo ce soir, comme tout le temps avec Talia. Et à chaque fois, c'est cette dernière qui paie. On passe donc une soirée chill entre MacDo et un film sur le canap' que ma mère et Talia voulait absolument voir, un truc d'amour, j'ai pas trop suivi – The Perfect Date, j'crois. Au bout d'un moment, j'vais dans la chambre où Maman, Isaac et moi dormons et j'écoute mon petit frère ronfler mignonnement. J'traine sur mon tel, j'm'endors. Demain matin, c'est Talia qui nous ramène à la maison, elle en profitera pour aller voir sa mère il me semble.
Je ne sais pas trop de quoi je rêve, mais c'était au lycée, y avait Steven qu'emmerdait une meuf, j'sais plus, c'est flou.
