CHAPITRE 6

28/05/2025


Chapitre 6 (NDA : Après environ six mois, me voilà de retour...)



J'ai cru entendre quelqu'un, j'ai couru sa mère ! J'ai même pas pris le bus pour rentrer. J'ai couru, couru, couru, et j'ai claqué la porte d'entrée, une fois rentré à l'appart'. J'étais essoufflé. J'ai jamais autant bu, après. Pour oublier, peut-être. Oublier que j'avais l'impression de faire quelque chose de mal, d'interdit. Nan, y avait personne.


J'm'enferme dans ma chambre, branche mes écouteurs, m'installe à mon bureau. J'prends un cahier au pif, l'ouvre à une page au pif, prends un crayon au pif. Et j'ouvre la galerie de mon tel. Clique sur la dernière photo. Celle que je viens de prendre… Et même s'il faisait nuit, qu'il y avait que les lampadaires pour éclairer orange, ça me saute aux yeux. Ces cheveux bleus et violets…


Ouais, j'reviens du quartier de Nicolas, où j'ai pris le dessin en photo. Le dessin de l'inconnu.e. Qui fait chier, sans raison, Steven. Parce que c'est super beau. Les gars semblent pas d'accord, sauf Nicolas. On est les aliens du groupe, ou quoi ? J'me suis dit que j'allais essayer de l'refaire. Histoire de comprendre ce que ça veut dire. Peut-être qu'il y a un truc que j'ai pas capté, et que je capterai en redessinant. Ou peut-être que c'est juste un visage random. Mais j'sais pas, il y a quelque chose de trop… de trop comme dans un rêve. Ça a rien à faire dans un quartier comme c'lui-ci.


J'commence à essayer de faire quelque chose : le front, le nez, la bouche, le menton… Mais merde, ça r'semble à rien. Je tremble de ouf. J'suis tout hésitant, j'ai peur de tout foirer. Et j'ai pas envie de foirer, parce que j'ai envie de comprendre. J'suis sûr que ce tag est un mystère à déchiffrer. J'vais sur YouTube et regarde un tuto pour dessiner les visages de profil, pour avoir un peu plus confiance, quoi. La voix off de la dame qui parle est insupportable, j'arrête vite. J'me trouve ridicule à essayer de reproduire ce dessin…
J'regarde ce que j'avais commencé à faire.
Trop moche. Pas digne de ce bout de mur coloré.
Je gomme.
On recommence.
Encore, encore, encore.
Quand j'rate, j'décide de pas effacer, mais dessiner à côté, en dessous, au-dessus, par-dessus… Au début du tuto, la dame conseillait de faire un rond en mode ''base'' et de rajouter les éléments à partir de ce rond, genre. Donc j'trace un rond, j'le coupe en deux d'un trait horizontal, place le nez, les yeux, regarde la photo, me rends compte qu'elle est un peu floue, penchée, qu'on voit pas grand-chose… Et mes gribouillis sont de plus en plus assurés ; j'appuie de plus en plus sur le crayon. C'est pas ressemblant à cent pour cent, mais franchement, ça passe. Surtout pour quelqu'un de pas doué comme moi, qui y connaît rien en dessin.
Mais j'me démonte pas et les musiques défilent, j'écoute pas, juste un bruit de fond. La mine du crayon d'papier s'casse trois fois, donc j'finis par utiliser un stylo.


Au bout d'un moment, j'en ai marre. J'abandonne pour ce soir. J'ai usé toutes mes forces, j'ai mal au poignet, en plus. J'vais dans la chambre d'Isaac, m'assois à côté de son lit et regarde la photo du graffiti. Je zoome et dézoome certains endroits, surtout le visage, ces yeux fermés et les cils super longs… J'admire, en fait. C'est trop… trop. J'sais pas comment dire. Ce dessin, c'est un autre monde. Peut-être pour ça que j'aime bien. C'est limite féerique, imaginaire, et si ça se trouve, en touchant le dessin, on arrive dans un autre monde, un comme la voie neuf trois quarts dans Harry Potter. Y a quel monde derrière ce graffiti ? Un monde de sorciers ?
Soudain, bruits de clés dans la serrure, de porte qui s'ouvre puis s'referme. Chaussures qui se retirent, clés qui tombent. Lumière allumée dans l'entrée. La daronne est rentrée.
Elle rit.
Pardon ?
J'mets mon tel dans ma poche, m'approche discrètement de la porte de la chambre d'Isaac, l'ouvre un tout petit peu pour voir un tout petit peu. J'entends mon cœur battre super fort. J'vois ma mère retirer son manteau rouge, le lancer sur le canap', se passer la main dans les cheveux. Ils sont détachés, c'est rare. Elle a l'air joyeuse. Elle a le visage tout rose. Elle s'allonge dans le salon sur des coussins, tête en arrière, sourire aux lèvres.
Je sors de la pièce pour la rejoindre. J'essaie de pas faire de bruit, au début, puis j'me rends compte que c'est stupide. Elle me voit, et faussement surprise, elle dit :
« Bah t'es pas couché, toi ? »
Elle rit et sourit. Ce sourire, j'l'aime pas. Elle est heureuse. Mais c'est grâce à M. Rudeaux, c'est sûr, et putain, c'est dégueulasse. J'grimace intérieurement, mais j'laisse rien paraître. J'veux pas gâcher le bonheur de la daronne. Ça fait longtemps qu'il est trop absent.
« Nan, j'surveillais Isaac, je dis.
— Il a pas pleuré ou quoi ?
— Non. »
Elle ferme les paupières et soupire, tous ses muscles se détendent. Pas les miens. Je serre les poings, pense aux écouteurs laissés sur mon bureau. Merde, j'aurais bien aimé les avoir, là…
« Quel ange… »
J'ai à peine entendu c'qu'elle a dit, elle s'est endormie en moins de deux. J'lui ai mis un plaid, tout doucement, parce qu'elle avait l'air fragile, quand même. Après j'suis allé dans la salle de bain. J'ai pris une douche et je crois que j'suis resté une heure sous l'eau. Tellement longtemps qu'à la fin elle était froide.


De mon lit, j'regarde le plafond. Encore une fois, j'ai pas fermé le volet. Comme ça, il fait jour-lune dans la chambre. C'est tout bleu, tout froid, j'adore. Pour une fois, j'ai pas mes écouteurs, ni ma musique. Dans mes mains, sur mon ventre, y a les deux feuilles où j'ai essayé de refaire le graffiti. Mon tel recharge. Il est loin. Avec lui, la photo du graffiti. Avec lui, le graffiti.
La vérité, c'est que j'suis carrément obsédé par ce dessin. Comme si je m'y identifiais, genre. C'est stupide. Mais ce bleu et ce violet veulent pas quitter mes pensées et ça m'énerve ! Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? C'est putain de ridicule. Je suis putain de ridicule.
J'balance les feuilles à travers la pièce, elles retombent lentement, virevoltant, et ça m'agace. J'mets mes mains sur mon visage et me tourne sur le côté. Mon tel est par terre, à un mètre de moi, et il me fait de l'œil. J'ai envie de le prendre et de mater le tag jusqu'à pas d'heure.
J'repense à tout à l'heure, en sortant de chez Steve. Avec Nicolas. Quand j'me suis arrêté d'un coup parce qu'il était là, ce dessin. J'l'avais encore jamais vu. Et ça m'a fait tout bizarre. Bordel, c'est qu'un dessin, pourquoi je r'ssens ça ? Et Nicolas ? Il en a pensé quoi, en vrai ?
(27.04.2024) J'me tourne et me retourne, me lève, vais à ma fenêtre, l'ouvre, la referme… et finis par m'allonger par terre, au milieu d'un tas de fringues, de cahiers et de feuilles de cours. C'est pas confortable. Mais qu'est-ce que j'm'en branle. Bientôt, je dors.

Le lend'main, les gars parlent pas de graff. Ni d'un éventuel nouveau, ni de l'ancien. J'passe ma journée en retrait, j'arrive pas à m'intégrer. J'me sens complètement étranger de mon propre monde. J'dis pas un mot, j'suis pas du tout concentré en cours, j'fais que d'remplir les marges de visages. Mais comme j'dessine mal, c'est moche, ça ressemble à rien. Ça fait juste passer le temps. Le midi, à la cantine, j'mange que dalle. Et l'après-midi, j'me fais chier à mourir. Que deux heures de spé et puis plus rien jusque dix-huit heures. Nicolas quitte le lycée, on l'revoit pas. Plus rien m'retient, sauf la dernière heure que j'passe avec Yacine.
C'est peut-être le meilleur moment que j'passe au lycée. J'marche avec Yacine, il parle, j'l'écoute. Il fait des blagues de merde, on va au deuxième et au troisième étage où y a personne et où c'est désert. Il m'dit les notes que sa sœur a eues au brevet blanc, on s'rappelle des souvenirs de l'année dernière où on était dans la même classe, insulte un seconde qui bloquait la porte de sortie du bâtiment principal (« Connard, bouge de là », il a dit).
Enfin, ça sonne dix-huit heures et on a même pas pu se poser. Près du portail, y a Emma-pas-Emma qui sort, en même temps que Steven, et j'le vois qui la pousse discrètement. J'soupire. Il est con. Elle le regarde mal une seconde, mais elle continue son chemin en branchant ses écouteurs à son tel. En voyant ça, instinctivement, j'vérifie qu'les miens sont encore dans ma poche. Oui, j'touche les fils entremêlés. Ouf.

Dans le bus, mon tel vibre. Un message. Steven sur le groupe ? J'appuie sur l'écran. Non. Ma mère.

Maman à vous
Samedi soir je mange avec Seb, tu imagines pas comment je suis trop contente ! Je te raconterai
Allez bisous ma belle, je vais chercher Isaac chez Eugenia

J'hausse les sourcils. Ma belle ? Ok, la daronne s'est trompée de destinataire. Elle parlait à Talia, sûrement. J'vais pour lui répondre, quand là, je tilte.
Seb.
M. Rudeaux. Merde ! Le con ! Il est sérieux, lui ? Manger un samedi soir avec Isabella DoSantos ? Tous mes muscles se contractent. Ça y est, j'suis énervé. J'prends même pas la peine de répondre, elle se rendra compte de sa connerie. J'mets vite de la musique et mets les notifs en silencieux. Merde, merde, j'veux pas de ce banquier dans ma vie ! Pas dans la vie d'ma mère non plus ! C'est quoi la prochaine étape ?

(04.05.2024) Pour me vider la tête dans ma chambre, j'décide de faire tous mes devoirs pour demain, la semaine prochaine, et je bosse, je bosse, je bosse. J'relis mes cours, je cherche à comprendre c'que j'ai pas compris, je fais tous les exercices, prépare les évals à venir, j'me bourre le crâne de maths et d'anglais. Ma mère est même rentrée, j'lui ai pas dit deux mots.

Elle s'occupe d'Isaac quand j'l'entends à travers ma porte m'appeler pour manger.

« J'ai pas faim, j'réponds. J'mangerai peut-être plus tard !

« Tu bosses ? elle demande.

« Ouais.

Pause.

« Travaille bien, c'est important.

Mdr, peut-être, mais qu'est-ce que je m'en fiche. J'veux juste oublier ce message de merde. Et j'ai l'impression de découvrir mes cours. Je foutais quoi, depuis tout ce temps, en classe ? J'ai aucun souvenir d'avoir écrit tout ça. Mais y a des trous dans les pages, plein d'espace, et j'sais qu'c'est parce que souvent je note pas. Flemme.

Vingt-deux heures, j'ai mal aux poignets d'avoir écrit, mal aux yeux d'avoir lu, j'suis crevé. C'est épuisant de bosser. Mais j'ai fini, et j'suis super soulagé. Je me lève, m'étire, mes os craquent. Putain.

Y a plus de bruit dans la maison. La daronne doit dormir, Isaac aussi. J'prépare toutes mes affaires pour demain, range un coup le bordel sur mon bureau, prends ma douche et me lave les dents sans avoir mangé. Enfin, après, j'me couche. J'ai mal au dos. J'ai même oublié l'existence de mon tel, que j'avais mis en silencieux. J'sais même pas où il est. Flemme de chercher. J'l'entendrai demain quand il sonnera à six heures.

Comme prévu, mon tel sonne à six heures, et j'ai jamais si bien dormi que c'te nuit-là. J'étais crevé. Mal aux dos à force de bosser. J'ai même rêvé du lycée, l'horreur. J'étais premier de la classe mais je recevais une mauvaise note en spé et du coup j'étais devenu dernier, bref, aucun sens. Et improbable, surtout. J'suis pas un bon élève. Pas du tout. Même en rêve.

J'prends mille ans à sortir du lit, j'suis bien au chaud. Et j'ressens un truc nouveau. Ouais, le sentiment que j'ai bien dormi, longtemps, et que ça a fait du bien à mon corps. J'suis plus détendu. Merde, ça fait cet effet, de bosser ? C'est super épuisant, mais peut-être que j'recommencerai. C'est chiant mais au moins j'oublie ma vie.

Dans la cuisine, j'bois du lait. Ça fera mon p'tit-dèj. J'm'habille et au même moment, ma mère rentre dans ma chambre. Je crie et elle referme super vite la porte. Elle rit.

« J'suis désolée, j'suis désolée Liam !

Et elle éclate de rire. Ça réveille Little Bro, qui se met à crier.

« Mais qu'est-ce qu'il a, l'autre ? Il pleure parce qu'il a pas vu son frère tout nu ? Eh oui, t'as pas eu cette chance, mon petit Isaac !

Elle s'éloigne.

J'remarque qu'elle est de bonne humeur, et que… ouais, moi aussi. J'ris aussi. Un tout petit rire, vraiment, un rien, mais c'est déjà ça. J'ai passé une bonne nuit et ma mère est heureuse. Une journée qui commence bien. Ça m'avait manqué.

J'attrape mon sac de cours, fais un bisou à Isaac et ma mère, puis file à l'arrêt de bus. J'y trouve Sofiane et c'est même moi qui suis allé faire le premier pas. Il le remarque, ça l'fait marrer. Dans l'bus, on a jamais autant parlé, tous les deux. Il parle un peu de foot, j'avoue que moi c'est pas trop-trop mon truc. On parle de Nike, de trucs super banals.

Au lycée, j'rejoins les gars au même endroit que toujours dans la MDL, et j'souris presque. J'participe à la discussion tant bien que mal, parce que j'me rends vite compte que Steven monopolise l'attention.

La matinée passe, je trouve même pas ça long. Je note tous les cours, pendant les quatre heures – j'suis un peu fier de moi. J'avais l'impression d'être connecté au monde réel. J'ai pas participé en histoire pour autant, mais j'crois que j'ai pas trop foiré le DS de spé anglais. Et… ouais, ça m'fait tout drôle. J'ai pas aimé, mais j'ai connu bien pire.

Le midi, on attend qu'il y ait moins de monde dans la file pour la cantine, parce qu'autant de gens, ça casse les couilles. Tout le monde se pousse, tout le monde crie, et on aime pas ça. Alors avec les gars on reste en MDL, y a presque personne, c'est mieux. Au bout d'un moment, Nicolas me prend même à part :

« Mec, ça va ? T'as vu que tous les profs étaient absents ou quoi ?

Sur le coup, j'comprends pas c'qu'il veut m'dire. Il a l'air moqueur et inquiet à la fois. Il a pas parlé fort, pour pas que les autres entendent.

« Hein ? je réponds.

« Gros, y a un truc qu'a changé chez toi, là. T'étais pas comme ça hier, ni mercredi ni du mois.

Ça se voit tant que ça ? J'suis un peu inquiet. J'me dis que, putain, quand on a bien dormi, ça change la vie. Tout parait plus facile. C'qu'il me manque, depuis le début, c'était de pioncer…

« Mec ?

Je reporte l'attention sur mon pote.

« Ouais, j'suis là.

« Tu fais peur.

« Pourtant, j'ai dormi, je dis.

Le visage de Nicolas se transforme. Ses sourcils sont plus froncés : tous ses muscles se détendent. Et il sourit un peu. C'est tout sincère, ça s'voit, ça m'touche. J'ai l'impression que j'me suis rapproché de Nicolas, ces derniers jours.

D'un coup, Darnell met ses bras sur nos épaules, et avec son éternel sourire, il nous d'mande :

« Vous parlez de quoi ?

Nicolas soupire, essaie de se retirer de là. Ça m'fait rire.

« On parlait…

« En fait j'm'en fous, il dit en me coupant la parole. J'ai faim. V'nez on va graille.

J'regarde la file, il reste dix personnes, max. On décide d'y aller, et une fois assis, mon plateau devant moi, j'me dis qu'il faut que je mange. Pas trop mon truc de bouffer pour huit, mais je mange presque plus, et j'ai perdu du poids, j'le sais. Manger me fera du bien. Comme dormir, ha. Ça change la vie d'être présent physiquement et mentalement. Je passe un bon moment, entouré de potes qui racontent que des conneries.

J'reviens sur la conversation, donc sur Steven :

« J'ai réussi à trouver un gars qui en vendait, il dit.

Wesh, de quoi il parle ? J'ai raté un épisode, là.

« De quoi ? j'demande.

Il approche sa tête du centre de la table, regarde autour de lui, j'ai peur. Puis il chuchote :

« De la beuh, frère.

Et il reprend sa place initiale en riant.

« Tu veux consommer ?

Il roule des yeux.

« Bah ouais, t'es con, sinon je chercherais pas à en trouver.

J'déteste quand Steven me parle comme ça et qu'il me prend vraiment pour un mongole de service. C'est bon, merde, je suis curieux, c'est tout.

« Par contre, vous fermez tous votre gueule, compris ?

Tout le monde dit ''oui''. Encore une fois, il regarde autour de lui, mais tout le monde en à rien à foutre de ce qu'il dit parce que de là où sont les autres gens, ils nous entendent pas.

« J'ai pas envie de me faire choper alors que ça a pas commencé, termine Steven.

Eyes contact avec Nicolas, j'souffle. Ouais, on va le laisser dans son délire, même si certains comme Auxyl sont quand même vachement enthousiastes et demande à Steven de partager. Ils parlent tarif. J'les prends pas au sérieux, et vu la tête de Nicolas, lui non plus. Pour une fois, Darnell dit rien, il se contente de rire pour de faux. Cramé.

Créez votre site web gratuitement ! Ce site internet a été réalisé avec Webnode. Créez le votre gratuitement aujourd'hui ! Commencer